2. Le sapin de Noël

Le comité des fêtes de mon village ayant un nouveau président en la personne de mon voisin, il fallait s'attendre à quelques changements dans la cérémonie du sapin de Noël. Par un dimanche de décembre, le président du comité s'est fait accompagner en forêt pour choisir l'arbre à planter sur la place de l'Eglise. L'épicéa élu, haut de plus de six mètres, a été coupé à la tronçonneuse à ras du sol, émondé de ses branches basses et ramené couché sur un char tiré par un tracteur. Il a été ajusté dans un socle de plastique formé d'un tuyau qui pourra servir encore l'an prochain, à condition de le munir d'un couvercle. Pour maintenir le sapin à la verticale, il a fallu le caler et vérifier avec un fil à plomb la position du sommet. Comme décembre est la saison des rafales de vent si ce n'est des tempêtes, un solide ancrage est nécessaire pour que le comité des fêtes et son président s'évitent le ridicule d'un sapin de travers, voire la moquerie du village voisin, facilement jaloux du sapin d'autrui.

La décoration de l'arbre a été l'?uvre de plusieurs voisines qui ne manquent pas d'esprit inventif. Outre des guirlandes d'ampoules, les ange de bois, les étoiles de cartons argentées et quelques vraies pommes emballées dans du papier d'aluminium, elles ont eu l'idée des cédéroms. Au cours de l'année, elles avaient mis de côté des disques publicitaires. Elles les ont collé dos à dos de manière à ce que les deux faces se présentent brillantes, puis les ont suspendues grâce à la perforation centrale. De nuit, les cédéroms recyclés renvoient l'éclat des phares des voitures qui passent en trombe sur la place de l'Eglise. Pour s'assurer que l'effet nocturne soit réussi, un projecteur de théâtre a été fixé au tilleul d'à côté. Il diffuse une lumière permanente, presque neigeuse. Comme cet éclairage mettait aussi en évidence les taches sombres sur le mur de l'école et sur la statue de la vierge, les voisines ont lavé le mur, puis procédé aux ablutions de la sainte jeune fille chargée de protéger le village du malheur.

Ce qui distingue un sapin de Noël de tout autre sapin étant son éclairage nocturne, il a fallu s'assurer d'une alimentation électrique permanente. Un câble sort donc de l'école, court sur le mur du préau et rejoint le sapin en son milieu, c'est-à-dire à plus de trois mètres du sol. Restait à savoir qui allumerait le sapin à la nuit tombée et qui l'éteindrait à minuit quand plus personne n'est là pour l'admirer. Par le passé, cette tâche n'a pas toujours été assurée avec la régularité souhaitée. Autour de Noël, les gens s'absentent dans leurs famille ou rentrent tard de sorte qu'il est même arrivé que les ampoules décoratives du sapin soient encore allumées en plein midi. Heureusement, le président du comité des fêtes a découvert dans un magasin de bricolage une minuterie électronique qui ne coûte que 30 francs.

L'installation de ce sapin a été si réussie dans toutes ses phases (planification, installation, coordination, organisation et... évacuation) que le président du comité des fêtes a été approché par plusieurs villageois pour qu'il prenne en main, l'année prochaine, outre le destin du sapin, celui de la commune. Mais le président mijote déjà des améliorations au futur sapin. Sur la mairie, il refuse l'entrée en matière.


Daniel de Roulet

Frasne-les-Meulières, janvier 2001

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